Un forum économique pour quoi faire ?
SEM. Boni Yayi, président de la République du Bénin |
Le gouvernement béninois projette d’organiser un forum économique dans le but de relancer l’économie nationale. Une initiative salutaire devons nous reconnaître étant donnée la situation économique actuelle du Bénin, faite de morosité et d’amenuisement des ressources publiques. Mais à y voir de près, la question de l’opportunité d’une telle rencontre mérite d’être posée.
Le Bénin aujourd’hui a une économie à taux de croissance très faible, un taux de chômage qui fait peur, un taux d’endettement préoccupant, une balance commerciale traditionnellement déficitaire, un secteur productif quasiment inexistant, une diminution vertigineuse des investissements privés, une présence impressionnante de l’informel, etc. Etant donné ce tableau noir et face à la récession économique qui prévaut actuellement au Bénin, organiser un forum économique se justifie autant qu’on a pu justifier en son temps le forum sur l’accélération de la croissance économique, tenu vers la fin des années 90 au Bénin. Mais pour l’observateur de l’action publique, il est opportun de se demander ce qui a été fait des conclusions du forum sur l’accélération de la croissance économique et quelle évaluation on en a fait depuis lors. Question légitime lorsqu’on sait que le forum économique en vue sera animé, à quelque variante près, par les mêmes acteurs. Seuls le régime au pouvoir aura changé.
Quelle marge de manœuvre ?
Réfléchir sur l’économie béninoise à l’étape actuelle est un exercice à marge de manœuvre limitée. Car, sur trois variables essentielles sur lesquelles s’appuient les spécialistes de politiques économiques pour agir, une seule est manipulable à tous égards par l’Etat béninois. Ainsi, lorsqu’on prend les variables que sont la politique monétaire, la politique fiscale et la politique économique stricto sensu, seule la dernière donne une marge de manœuvre significative au gouvernement béninois.
Pour ce qui concerne la politique monétaire, le Bénin a une marge de manœuvre très limitée, étant entendu qu’il est membre de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), dont les pays ont en partage le Franc de la Communauté financière africaine (F Cfa). Le F Cfa est garanti par le trésor français et aucune décision y relative ne se prend en dehors des initiatives françaises. Même la lourde machine de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) ne gère quasiment pas le F Cfa qui par ailleurs est arrimé à l’euro à un taux fixe. Toutefois, en tant que banque centrale, elle veille sur la circulation de la monnaie et peut influencer, sous le contrôle de la France, la fixation du taux directeur auquel les banques commerciales empruntent auprès d’elle. Si la Bceao a une marge de manœuvre limitée, il n’est pas exagéré d’affirmer que l’Etat béninois n’en a quasiment pas en terme de politique monétaire. Heureusement pour la « planche à billet », disent les mauvaises langues. Cet état de fait n’est pas forcément un facteur limitant pour le développement économique global du Bénin, mais encore faudrait-il savoir en tirer profit. En effet, la France et l’Allemagne utilisent toutes deux l’euro mais la dernière se porte économiquement mieux que la première.
Sur le plan fiscal, depuis l’adoption du Tarif extérieur commun (Tec), le Bénin a encore cédé une bonne partie de ses prérogatives en matière de politique fiscale. Ainsi, pour un budget qui tire l’essentielle de ses ressources de la fiscalité, c’est sur le consommateur final et les revenus des entreprises commerciales ayant une existence formelle notamment que s’appuie l’Etat pour renflouer sa caisse. Là encore, peut-on affirmer sans se tromper qu’il y a une marge de manœuvre sur laquelle on peut véritablement réfléchir pour sortir le Bénin de la crise si ce n’est pour une pression fiscale plus accrue sur les agents économiques honnêtes.
Pour ce qui concerne la politique économique au sens strict, il n’est point un secret pour personne que c’est à ce niveau que la marge de manœuvre du gouvernement est grande. Il s’agit ici de savoir, entre autres options, si l’Etat béninois veut engager des réformes courageuses au port à l’aéroport et aux frontières pour améliorer ses recettes aux portes ; si le Bénin souhaite réduire sensiblement le poids du secteur informel dans l’économie ; si au Bénin la construction des infrastructures continue d’être la priorité ; si le gouvernement a une magie pour doper le secteur de la production à travers la production agricole suivie de la transformation sur place ; s’il y a de quoi stimuler l’entreprenariat national afin que ses acteurs aient des ambitions au-delà du budget national et des marchés publics ; si le Bénin a un secret pour développer une manufacture locale ou carrément une industrie… Jusque là, le premier contributeur au budget national n’est pas une entreprise de production, mais d’une boîte d’import-export. Et en termes d’exportation, elle fait plutôt de la réexportation. Que pense-t-on de l’affirmation « Un pays sans industrie est un pays sans avenir » faite par Jean-Marc Ayrault, actuel premier ministre français devant l’Assemblée nationale française le 3 juillet 2012 lors de son discours sur la politique générale de son gouvernement ? Il y a donc matière à réfléchir sans inventer la roue. Car, il est fort à parier que tout ce qui se dira à ce forum est du déjà dit mais jamais suivi d’actions concrètes.
Un forum peut-être…
Le Bénin a certainement besoin d’un forum économique. Mais il faut savoir raison gardée. Le Bénin n’a pas besoin d’un forum pour parler du Programme de vérification des importations de nouvelle génération. Encore moins d’une rencontre pour savoir qui a droit à un redressement fiscal ou non. Il ne faut pas non plus perdre le temps à parler de l’organisation de la filière coton qui a déjà une bonne organisation laissée entre des mains pas forcément bien indiquées. A notre sens, il s’agit d’engager une réflexion sur la gouvernance économique du Bénin. Sans oublier la gouvernance administrative au service du développement. Et là, le travail fait par la primature dans le cadre de ses prérogatives en matière d’ « évaluation des politiques publiques » doit être pris en compte. Adam Smith et autre John Maynard Keynes n’ont pas réfléchi sur des cas similaires à celui du Bénin. Il n’y a même pas un modèle béninois établi pour rêver y appliquer une théorie économique classique. Sans oublier que lesdites théories sont en panne même en occident où elles ont vu le jour. Il n’est donc pas opportun de recourir auxdites théories pour le cas du Bénin. Ici, il faut que ceux qui estiment qu’ils connaissent le b.a.-ba en économie ou en développement, sacrifient un peu de leur temps en restant ouverts aux propositions de spécialistes de tous autres secteurs. L’objectif étant de conduire une réflexion départie de tout préjugé en vue de propositions concrètes pour relancer les activités en général et l’économie béninoise en particulier.
Aubin R. Towanou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire