La dangereuse incertitude qui pointe à l’horizon au Bénin
Depuis quelques mois, les Béninois attendent et en vain, une certaine clarification en ce qui concerne l’arsenal législatif devant conduire la classe politique béninoise aux prochaines élections présidentielle et législatives. Même les dernières mises en conformité de lois électorales au Parlement, suite aux décisions de la Cour constitutionnelle, ne dissipent guère les inquiétudes légitimes des citoyens béninois. Le niveau atteint pas la crispation qui marque l’environnement politique au Bénin est si élevé que le commun des Béninois imaginent la possibilité d’une confusion politique en 2011. Le débat sur l’issue probable de la Liste électorale permanente, informatisée (Lepi) et l’option la mieux judicieuse à envisager en cas de non achèvement du processus en cours reste ouvert et loin d’être tranché. Or, chacun des acteurs de la classe politique a conscience que le temps n’est pas arrêté et que le 6 avril il faut forcément installer un nouveau président élu si nous ne remettions pas en cause les dispositions de la Constitution du 11 décembre 1990. C’est là autant de considérations qui nous permettent d’affirmer que la classe politique béninoise projette le pays dans une dangereuse incertitude.
La République du Bénin, à travers sa classe politique, a pris l’option, faite d’incertitude, de ne pas adopter définitivement un Code électoral. Ainsi, à l’approche de chaque échéance électorale, les députés à l’Assemblée nationale sont obligés de légiférer spécifiquement afin de définir les nouvelles règles devant régir les acteurs en compétition. Il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’une option formelle. Mais depuis l’avènement du renouveau démocratique, la pratique s’est imposée et laisse croire que cet état de fait est une norme constitutionnelle. Or, après 20 ans d’expérience démocratique, le moment est venu d’adopter un Code électoral qui ne subisse plus de modification suivant les humeurs des acteurs de la classe politique en position de force à la veille d’une échéance électorale.
La Lepi comme un objet de blocage
La réalisation de la liste électorale permanente, informatisée (Lepi) devrait être une solution aux nombreux dysfonctionnements qui entachent les processus électoraux au Bénin. Mais force est de constater aujourd’hui que la confection de cet outil est considérée comme étant l’objet essentiel des contradictions majeures qui jettent du doute sur les élections à venir. Or, aucune enceinte politique ne nie la nécessité de l’établissement au Bénin d’une Lepi consensuelle et fiable. Il y a quelques années, tous les acteurs de la classe politique nationale appelaient de tous leurs vœux la réalisation de la Lepi. Il y en avait même qui faisaient de la réalisation de cet outil une condition essentielle en négociation politique. On attribue même à cet outil des avantages qui lui sont étrangers en le qualifiant d’outil de développement par excellence. Mais voilà que sa réalisation suscite toutes les contradictions possibles. Situation qui amène à douter de la bonne foi de ceux qui l’exigeaient par le passé.
En fait, la réalisation de la Lepi aurait été une fête de la démocratie si le Bénin n’avait pas connu la crise politique qui mine depuis plusieurs années maintenant et jusqu’à aujourd’hui les relations entre les acteurs de premier ordre de la classe politique. En effet, Tout est parti de la réserve émise par les tenants de l’Union fait la Nation à la veille du lancement du processus. Et face à eux il avait eu la majorité au pouvoir qui a estimé que toute réserve est mal venue si l’on veut effectivement de l’aboutissement du processus de la Lepi. Et fort de cette position, le pouvoir à soutenu le lancement du processus en s’y impliquant d’amblée en montrant du doigt l’opposition comme un contre poids au bon déroulement du processus. Inutile pour nous de situer ici les responsabilités. Mais à l’épreuve des faits, la responsabilité de toute la classe politique est engagée dans ce qui arrive aujourd’hui. Car, Il est inconcevable qu’un pays comme le Bénin réalise un si important outil sans un minimum de consensus. La particularité même du processus fait qu’il est inconcevable de réaliser un tel projet en ne s’appuyant rien que sur la volonté d’une frange de la classe politique fut-elle majoritaire ou non. Puisque, la réussite dudit processus dépend de l’adhésion de tous les Béninois. Inutile se souligner que personne n’a le monopole de la bonne foi a priori lorsque nous-nous situons dans le contexte béninois.
Aujourd’hui, le processus est très avancé mais n’offre aucune garantie d’un aboutissement à bonne date. Un état de fait qui ne s’explique rien que par la divergence majeure qui mine les relations entre les acteurs de premier plan de la classe politique nationale. C’est le lieu d’indiquer que même le début de dialogue qui a été initié par le chef de l’Etat en plein processus a eu le temps de s’essouffler et finalement a créé plus d’incompréhension qu’il y en avait. Ainsi, la réalisation problématique de la Lepi constitue une source de blocage du processus électoral à venir qui est pourtant un rendez-vous constitutionnel incompressible. A cette étape, personne, ni même le superviseur générale de la Cps/Lepi, ne peut prendre officiellement la parole pour trancher le débat en indiquant clairement si oui ou non on peut aller aux élections en 2011 avec une Lepi. Or, chacun a sa position bien claire et précise sur la question sans avoir le courage de libérer le peuple qui veut bien savoir à quoi s’en tenir.
Une révision législative sur fond de confusion
L’incertitude actuelle à la veille d’échéances politiques capitales n’aurait pas constitué un objet d’inquiétude majeure si elle ne relevait que du débat autour de la réalisation de la Lepi. Mais force est de constater qu’en plus de la Lepi qui est une source d’incertitude, il y a la révision des lois électorales qui s’entoure d’une certaine opacité que même les juristes de haut niveau n’arrivent point à démêler. En effet, le rejet par la Cour constitutionnelle de certaines innovations majeures dans les lois électorales votées par le Parlement béninois suscite de grands débats à issues incertaines.
Les députés, sur la base des habitudes à ne pas encourager consistant à réviser les lois électorales à la veille des élections, ont procédé à un toilettage des lois en introduisant des innovations majeures. Notamment dans les lois n° 2010-33 portant règles générales pour les élections en République du Bénin et n° 2010-35 portant règles particulières pour l’élection des membres de l’Assemblée nationale. La Cour constitutionnelle, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité desdites lois, a monté la barre très haute en légiférant presqu’à la place du législateur. Il s’agit de sa décision DCC 10-116 du 08 septembre 2010 et celle DCC-117 du 08 septembre 2010 relatives respectivement aux lois sus-indiquées. Décisions qui se fondent sur des moyens susceptibles de réserves objectives. Selon la Constitution béninoise, les lois électorales ne sont pas des lois spéciales et sont susceptibles de modification dans le cadre d’un processus législatif normal. Mais la Cour, de manière exceptionnelle et inattendue, a conféré la qualification d’autorité de la chose jugée à la vérification de la conformité desdites lois à la Constitution avant leur promulgation. A notre sens, une telle démarche revient à enlever à l’Assemblée nationale le pouvoir de modifier une loi promulguée ou de voter une nouvelle loi sur les mêmes matières. Aussi, le fait de ne pas reconnaître au Parlement sa prérogative de fixer, sur la base de motivation claire, le nombre de députés constitue un revirement jurisprudentiel dont le Bénin peut se passer selon des juristes avertis. Dans ces conditions, nous estimons qu’il n’est dans l’intérêt de personne qu’une révision législative ordinaire et habituelle conduise à un blocage qui ne fait qu’en rajouter aux incertitudes déjà trop lourdes qui pèsent sur le processus électoral qui s’annonce.
Une responsabilité partagée
Avec l’embarrassant retard que connaît le lancement du processus devant conduire aux prochaines élections présidentielle et législatives, il n’est pas alarmant de commencer par craindre le pire. Une confusion politique tirant sa source dans un processus électoral mal manager pointe à l’horizon au Bénin. Loin de nous le rôle d’oiseau de mauvais augure. Nous n’avons pas appris à nous faire peur. Seulement, nous sommes réalistes et savons appeler chaque chose par son nom. Qui sème le vent, récolte la tempête disaient les anciens. On ne met pas du carburant sur une flamme pour s’étonner qu’elle prenne de l’ampleur. Aujourd’hui au Bénin, toutes les étapes jamais franchies sur le chemin de l’intolérance politique sont atteintes. Pour faire court, les différents camps en présence ne sont plus à l’étape de la possibilité de la moindre concession. Campé sur sa position, chacun est prêt à montrer à l’autre combien ses biceps sont développés. Ou du moins, chacun attend le moment propice pour asséner le coup fatal à son adversaire. Même dans un pays dont l’une des traditions culturelles fait une place de choix au dialogue à travers « l’arbre à palabre », tout se passe comme si toute possibilité de concertation est rompue et les différents camps s’observent en chiens de faïence. Chacun des acteurs s’emploie à soutenir que sa démarche va dans le sens de l’intérêt de la nation, du peuple. Pourtant, c’est ce peuple qui est malmené et s’érige en première victime face à ce qui se passe, face à l’incertitude dans lequel on propulse le pays sans ménagement.
Au regard de ce qui se passe, aucune des forces en présence, forces qui entretiennent la confusion actuelle, n’est préoccupée par les intérêts de la nation à proprement parlé. Seuls les intérêts égoïstes, sectaires guident leurs actions dont l’objectif principal est la sauvegarde ou l’amélioration des acquis de leur propre chapelle. Il est inconcevable que des personnes qui se veulent défenseurs de causes nobles résument l’action publique à une telle incongruité. Mais bon, la politique a ses règles qui échappent au bon sens et à la noblesse stricto sensu. En tout cas, le peuple silencieux est attentif à tout ce qui se passe.
Quant à ceux qui ont pris la responsabilité de participer à l’action publique tout en restant en dehors du jeu politique à proprement parlé, leur responsabilité est tout aussi grande dans ce qui pointe à l’horizon. Lorsqu’ils optent pour le silence à l’image du peuple meurtri ils jouent leur crédibilité. La société civile silencieuse sera responsable devant l’histoire dans cette marche dommageable vers l’incertitude. Sa responsabilité sera encore plus grande que celle des acteurs politiques de qui le peuple ne saurait attendre des actes de vertu. La société civile n’a pas le doit à l’excuse, c’est pourquoi nous prenons sur nous la responsabilité d’écrire ces lignes.
Au demeurant, la situation politique actuelle au Bénin est plus que préoccupante. Il ne s’agit pas d’ébranler le peuple, mais l’inviter à la vigilance. L’incertitude politique est plus que jamais aux portes du Bénin qui avait pourtant fait du chemin à pas assurés dans sa marche vers la consolidation de sa démocratie. Mais hélas, trois fois hélas ! L’heure de l’affirmation est arrivée et ses acteurs publics ont la lourde responsabilité de lui faire passer l’étape de la majorité. Le sacrifice sera lourd, très lourd même. Rendez-vous au 6 avril pour faire le bilan si tout allait bien. Autrement, nous sacrifieront l’ensemble de l’héritage d’illustres personnages tels Mgr Isidore de Souza, dont nous saluons la mémoire au passage et Mathieu Kérékou qui a certainement encore un rôle...
Par Amévo A. C. de Campos
Architecte décorateur - Expert agréé -
Consultant international
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