Et si la Cour constitutionnelle béninoise renouait avec la sagesse…
Me Robert DOSSOU, Président de la Cour constitutionnelle du Bénin
Les Béninois ont pris l’habitude de qualifier les membres de la Cour constitutionnelle de sages. L’expression « les sept sages de la Cour » est admise pour désigner l’institution qu’est la Cour constitutionnelle. Cependant, depuis quelques mois, nombreux sont ceux qui hésitent à prononcer le mot sage lorsqu’il s’agit de parler de la Cour constitutionnelle.
Au terme de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, en son article 114, « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. » et celui 124 « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoir publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ». Ainsi, avec une si grande responsabilité publique consacrée par la Constitution, les Béninois n’ont pas hésité à admettre que cette institution est un véritable pouvoir absolu qui, dans une démocratie, ne peut être incarné que par des sages. Et ils ne se sont pas trompés. Car, en quelques mois de mandature, la première équipe qui a eu la responsabilité d’assumer ce pouvoir, qualifié parfois d’exorbitant, s’est illustrée comme étant constituée de véritables sages. En cinq ans, tout ne s’est pas passé comme sur des roulettes, mais les Béninois s’accordent à reconnaître que la sagesse était de cette équipe. Les équipes qui vont suivre n’ont pas pu éviter de connaître des « bas remarquables », mais le cap est maintenu malgré tout.
Une Cour qui fait peur
La dernière équipe composant la Cour constitutionnelle a la particularité d’être une parfaite émanation du régime au pouvoir. En son sein, on retrouve les personnalités désignées par le président de la République et celles qui ont été choisies par le bureau, acquis au même régime, de l’Assemblée nationale. Toute chose qui fait douter nombre de Béninois quant à la capacité de cette Cour à être impartiale. Depuis, celle-ci n’a perdu aucune occasion pour rendre des décisions sujettes à caution. Elle n’a même jamais hésité à multiplier les revirements jurisprudentiels difficilement compréhensibles pour des Béninois habitués à une autre manière de faire de ses précédents sages.
Sans risque de se tromper, on peut affirmer que la crise politique actuelle est en partie due à certaines décisions prises par cette Cour. Il apparaît de plus en plus une volonté de cette Cour à jouer le rôle de législateur en lieu et place du Parlement. En effet, comment comprendre que la Cour constitutionnelle dénie aux députés le droit de légiférer pour réviser à la hausse la caution payable par les candidats aux élections législatives et présidentielle, caution qu’elle a elle-même fixée par le passé ? Comment admettre, dans la situation actuelle de la législation béninoise, que la Cour constitutionnelle jette du doute sur la faculté du Parlement de fixer le nombre de députés devant siéger dans la prochaine Assemblée nationale ? Et les exemples sont nombreux pour mettre en évidence le fait que le blocage que connait actuellement l’adoption des lois électorales vient de la volonté de la Cour constitutionnelle à légiférer à la place des députés. Et lorsqu’on sait que les décisions de la Cour sont susceptibles d’aucun recours, il est à craindre que les députés n’acceptent pas de procéder aux mises en conformités qui n’obéiraient pas au principe de la séparation des pouvoirs. Situation qui bloquerait dangereusement le processus électoral devant conduire à au renouvèlement du Parlement et l’élection du président de la République en mars prochain.
Nécessaire retour à la sagesse
La Cour constitutionnelle a une grande responsabilité face à l’histoire aujourd’hui. Il y a quelques jours, c’est le Conseil constitutionnel ivoirien qui a raté une occasion historique pour se faire une personnalité indiscutable dans le paysage politique de la Côte d’ivoire. Ceci est déjà du passé. Tous les hommes ne sont pas suffisamment grands d’esprit pour s’affirmer lorsque leur nation a besoin d’eux. Mais nous avons la conviction qu’au Bénin, cette valeur humaine est encore bien partagée par nombre de citoyens appelés à faire valoir leur savoir-faire au service de la nation. Nous comptons, malgré tous les préjugés, sur les sept membres de la Cour constitutionnelle du Bénin. Nous avons la ferme conviction qu’ils veulent bien mériter le qualificatif de sage qu’ils ne veulent pas porter de fait ou à tort.
ART
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